Walt Whitman (1819-1892) est un géant de la poésie américaine.
C’est
peut-être parce qu’il ne domine pas son sujet, qu’il sera toujours un
géant. Le voici presque petit, prenant dans ses bras un mourant, osant
dire ce que personne ne dit (mais pense souvent) : l’aspect excrémentiel
de la mort. Osant dire surtout cette espèce de fierté qui saisit ceux
qui accompagnent le dernier souffle d’un être aimé : « Bravo, je te
félicite ». Il n’y a là aucun cynisme. Simplement, comme quand on tourne
la dernière page d’un grand livre : la triste beauté de la fin. « Il
est dans la nature troublée du bonheur d’être triste », écrivait René
Char. « Entre tes mains je remets mon esprit », a dit, pour sa part, le
plus grand poète de tous les temps, au moment d’expirer (Luc 23,46).
A un qui va bientôt mourir - Walt Whitman
Entre tous les autres je te choisis, car j’ai un message pour toi,
Tu vas mourir – que d’autres te disent ce qu’ils veulent, je ne peux mentir,
Je suis juste et impitoyable, mais je t’aime – tu ne peux pas y échapper.
Doucement je pose ma main droite sur toi, tu la sens à peine,
Je ne discute pas, je penche la tête tout près et la cache à moitié,
Je suis assis tout contre, silencieux, je reste fidèle,
Je suis plus que garde-malade, plus que parent ou voisin.
Je t’absous de tout sauf de toi-même, spirituel corporellement,
donc éternel, et toi-même sûrement tu en réchapperas,
Le cadavre que tu laisses ne sera qu’excrémentiel.
Le soleil perce en directions imprévues,
De fortes pensées t’emplissent, et la confiance, tu souris,
Tu oublies que tu es malade, comme j’oublie que tu es malade,
Tu ne vois pas les médicaments, tu ne remarques pas les amis
qui pleurent, je suis avec toi,
J’écarte les autres de toi, il n’y a pas lieu de compatir,
Je ne compatis pas, je te félicite.
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